30 MAI / 18 JUIN 1944
Premières étapes vers l'enfer - Tulle : tragédie du 9 juin 1944 - Oradour-sur-Ganes le 10 juin 1944.
30 mai 1944, première étape vers l’enfer
Dimanche 30 mai 1944, c’est le jour de Pentecôte, il doit être 5 heures peut être plus, peut être moins quand un bruit de piétinement me réveille, ça vient de la cour, je me penche sur la fenêtre, et je vois la cour pleine d’hommes en uniforme, des G.M.R (Groupe Mobile de Sécurité) et des SS. Je me retourne vers mon camarade du châlit voisin pour lui dire ce que je vois, mais la porte du dortoir s’ouvre brutalement et les SS hurlants et à coups de crosse nous font comprendre qu’il faut nous lever. Nous n’avons même pas le temps de nous habiller car à l’appui des coups de crosse, ils nous poussent vers les escaliers. Dans la précipitation certains camarades s’entravent dans leur pantalon qu’ils n’ont pas eu le temps d’attacher et tombent. En sortant dans la cour, le premier GMR que je vois est celui qui m’a arrêté le 14 juillet 1943 en Corrèze. Je constate que ses loyaux services à la collaboration lui ont fait gagner des galons, il n’était que lieutenant et je le retrouve capitaine.
En arrivant dans la cour centrale, je vois d’autres camarades des préaux 2 et 3. Ils sont tous au garde-à- vous avec les mains croisées au-dessus de la tête. Par des hurlements, on nous fait comprendre que nous devons faire comme eux. après avoir vidé nos poches. Nous recevons des gifles, des coups de crosse pour un mouchoir ou une photo que l’on voudrait garder. Schivo le Directeur et sa femme exultent, ils désignent du doigt certains camarades qui sont écartés frappés et jetés à terre. Coups de pieds, coups de crosse s’alternent. Plusieurs camarades gisent ensanglantés sur le gazon. Les SS portent sur leurs manches l’écusson brodé de la division « Das Reich » qui plus tard mettra à feu et à sang le Sud Ouest, 99 pendus aux lampadaire de le ville de Tulle*, puis la tragédie d’Oradour-sur-Glane (*).
Les premiers descendus sont là depuis 4h30. Notre supplice durera jusqu'à 14h00. Malheur à celui qui fatigué ou pris de crampes, baisse les bras ; malheur à celui dont le pantalon sans ceinture glisse le long des jambes, la main qui tente de le retenir. Malheur à celui qui plie des genoux, rien n’échappe aux regards des SS qui à coups de crosse viennent leur faire reprendre la position. Le sbire Alexandre, le directeur Schivo, son épouse Allemande brandissent les pieux arrachés à une clôture et frappent à tour de bras ceux qui passent à leur portée. Les officiers nazis se contentent, eux, de rire aux éclats. La femme de Schivo va même cracher, piétiner et frapper les camarades étendus inanimés sur le sol.
Des camions militaires allemands arrivent dans lesquels les détenus doivent s’entasser, ils sont les uns sur les autres. Il n’y a pas suffisamment de camions, ceux qui restent devront donc faire le parcours de la centrale à la petite gare de Penne d’Agenais à pied, les autos mitrailleuses escortent la centaine de camarades.
Arrivée au carrefour de Tournemolle, la colonne est dirigée vers les bois de la Capelle où quelques jours plus tôt ont été fusillés des résistants, nous avons la sensation que nous vivons nos dernières minutes et que nous allons être abattus là, mais après un bref arrêt, l’ordre est donné de faire demi-tour et sous les coups redoublés, nous reprenons notre course folle.
Un de nos camarades, Huergas, résistant Espagnol ne pouvant suivre ce train d’enfer s’écroule sur le sol, il est lâchement abattu par un SS, à son tour Gaston Cavaillé tombe sur cette terre qu’il a si souvent retournée et piétinée. Les camarades le soulèvent et le portent jusqu'à la gare où sont déjà nos camarades.
Des wagons à bestiaux qui portent encore les inscriptions datant de la première guerre « Hommes 40 », « Chevaux 8 », sont sur la voie portes béantes. Une soldate Allemande nous fait le discours suivant. « Si l’un de vous tente de s’échapper 10 seront fusillés - si l’un de vous a un couteau ou autre objet coupant qu’il le remette immédiatement » , cette soldate devait ignorer que nous avions déjà été fouillés. Son petit laïus terminé, c’est à coups de crosse et sous les vociférations de nos bourreaux que nous devons rentrer toujours plus nombreux, nous serons 100 par wagon. Le convoi est resté sous un soleil de plomb, nous sommes en sueur d’avoir couru. Quand les portes se referment sur nous, nous avons l’impression d’être dans une étuve, nous étouffons littéralement. Le train s’ébranle, il n’a pas fait 300 mètres que des rafales de fusil-mitrailleur se font entendre. C’est la troupe de choc du Bataillon « Prosper » qui tente une action pour empêcher ce départ, une charge de plastic a même été placée sur la voie, mais elle n’éclate qu’au passage de l’avant-dernier wagon où je me trouve. Un de mes camarade André Edouin, Lorrain, connu avec son frère Constant dans le groupe Guy Môquet a une partie de la main arrachée. Un autre sera blessé par les balles tirées par un SS. Le wagon n’ayant pas déraillé le train continue sa course, pour se diriger vers le nord en faisant des « zigzags » par la Gironde, la Touraine, Le Mans, Massy Palaiseau et la Grande Ceinture autour de Paris. Au cours d’une halte dans une petite gare pour laisser passer un autre train (un convoi comme le nôtre n’est pas prioritaire), un autre camarade est blessé par balle car un SS inspectant les wagons voit un trou dans le plancher, il passe son arme dans le trou et tire. Le Résistant Polonais Mendrok reçoit une balle dans les reins. Nous ignorons tous le supplice qui nous attend : la soif. Avant le départ, des vivres nous ont été donnés mais notre organisme asséché ne tolère plus la moindre bouchée, il faudra attendre Bordeaux. pour que certains reçoivent un gobelet d’eau, les autres attendront Poitiers pour une nouvelle distribution. La Croix Rouge tente de faire sortir les blessés, les SS refusent. Mon camarade André Edouin a juste droit à une piqûre pour tenter de calmer la douleur, cela permet de prolonger l’ouverture de la porte du wagon qui dégage une puanteur si forte que l’infirmière manque de s’évanouir.
Le 1er juin, nous nous arrêtons à la gare de Tours, puis nous avons un nouvel arrêt prolongé à Saint-Pierre-des-Corps, la soif est de plus en plus horrible à supporter, Nous sommes fatigués, nos jambes ne nous tiennent plus, certains tentent de s’allonger quand nous arrivons au Mans. Il y a 24 heures que nous n’avons pas eu une seule goutte d’eau, nos lèvres sont éclatées, avec des morceaux de pans de chemise arrachée, nous essuyons les parois du wagons où suinte la condensation pour nous mouiller les lèvres tuméfiées . La croix Rouge nous distribue un bol de bouillon chaud, les portes se referment. Le 2 juin nous arrivons à Argenton dans l’Orne puis à Dreux et Versailles. Une autre nuit commence, la marche saccadée du train coupée de haltes fréquentes, indique que les régions traversées sont pleines d’insécurité pour les nazis.
A l’aube du 3 juin, nous passons à Creil puis nous arrivons à Compiègne. Sous les cris de nos gardes, nous devons descendre de nos wagons, nous nous regardons mutuellement, les wagons avant nous transportaient du charbon, nous avons du mal à nous reconnaître, noirs, barbus, les yeux rougis, les lèvres sanguinolentes.
Dans la traversée de la ville, nous formons une longue colonne en haillons de bure déchirés et noircis, escortée par les soldats de la Wehrmacht et des véhicules équipés de mitrailleuses, certains camarades aident les plus mal en point à se traîner jusqu’au camp. Des groupes de 4 portent les blessés, et nous arrivons au camp de Royallieu 5 jours après avoir quitté la prison centrale d’Eysses. Nous y resterons jusqu’au 18 juin date de notre embarquement pour la dernière étape, le camp de sinistre mémoire « Dachau ».
*Tulle : nous n’avons su qu’après avoir été déportés la tragédie du 9 juin 1944.
Au lendemain du débarquement en Normandie, la division Das Reich reçoit l’ordre de se positionner dans la région entre Tulle et Limoges pour y réduire les maquis qui depuis l’annonce du débarquement, ont intensifié les actions de sabotage et de harcèlement des garnisons allemandes. La mission contre les partisans porte le nom d’Ordonnance Sperrle. Elle doit dresser la population contre les partisans et par encerclement, anéantir les groupes de Résistance.
Le matin du 9 juin 1944, les SS de la division « Das Reich » considérée par le régime nazi comme l’élite de l’élite, sous le commandement du général Lammerdind rentrent dans Tulle, et réunissent tous les hommes de 16 à 60 ans. Au total 5.000 hommes sont regroupés devant la manufacture. Les représentants des autorités françaises obtiennent la libération de 3.500 hommes. Une deuxième sélection faite par les nazis débouche sur la constitution de deux groupes de 60 hommes. Walter Schmald veille à maintenir le chiffre de 120 hommes destinés à l’exécution qui n’est pas encore annoncée, mais ne tarde pas à l’être. Conformément à la note de Lammerding du 5 juin et à l’ordre qu’il a donné, en fin de matinée du 9 juin, les 120 otages sont condamnés à la mort par pendaison.
Acte d’accusation : «Quarante soldats allemands ont été assassinés par des bandes communistes (…) pour les maquis et ceux qui les aident, il n’y à qu’une peine, le supplice de la pendaison (…). Quarante soldats allemands ont été assassinés par les maquis, cent vingt maquis ou leurs complices seront pendus. Leurs corps seront jetés dans le fleuve.
Kowatsch qui se vante d’avoir pendu plus de 100.000 russes à Kharkov demande au Colonel Bouty d’annoncer au groupe principal de prisonniers qu’ils doivent assister aux exécutions. Les suppliciés sont conduits sur les lieux de leur exécution et découvrent, sur plusieurs centaines de mètres, des cordes se terminant par des nœuds coulants accrochées aux arbres, aux réverbères et aux balcons. Chacun d’eux, souvent à coups de crosse, est amené par un soldat volontaire près de la corde où une échelle est dressée. Un des jeunes hommes sera pendu au crochet de la boucherie de son père.
Comment oublier ? (voir internet site "commémoration des 99 pendus de Tulle".
(*) Comment oublier la journée du lendemain, à Oradour-sur-Glane ?
Le 10 juin 1944, la même unité SS sera à Oradour-sur-Glane ce petit village de Haute-Vienne à vingt kilomètres du Nord-Ouest de Limoges.
A 13 heures 45 le village est encerclé, le Docteur Desourteaux désigné par Vichy et qui fait office de Maire fait appel au crieur public pour ordonner aux habitants et aux personnes de passage particulièrement nombreuses en raison d’une distribution de viande et de tabac, de rejoindre le champ de foire. Les SS forcent les habitants de la périphérie à les rejoindre. La rafle inclut les 191 écoliers, les deux instituteurs, les cinq institutrices. Une directrice d’école des filles (en congé maladie) encore en pyjama est poussée à coups de crosse. Ceux qui tentent de fuir sont abattus. Le rassemblement est terminé. Un Waffen-SS alsacien traduit pour les 250 hommes présents. Les SS ont entendu parler d’une cache d’armes et de munitions dans le village et menacent de mettre le feu à chaque maison pour faire sauter les munitions. Devant l’absence de réaction, l’officier SS demande au Maire de désigné 30 otages, le Maire refuse et se porte volontaire. Ce qui fait rire l’officier.
Vers 15 heures, les femmes et les enfants sont conduits dans l’église. Vers 15 heures 45, un cheminot de la gare de Limoges est abattu. Les 180 hommes dont des jeunes gens de plus de 14 ans sont répartis par groupes de 30 dans six lieux d’exécution. A 16 heures les mitrailleuses fauchent les otages, ceux qui ne sont pas mort sont exterminés à bout portant, puis les corps sont recouverts de paille, de foin et de fagots et les SS mettent le feu. Seuls Cinq hommes échapperont à la fusillade.
Sur les 350 femmes et enfants enfermés dans l’église, seule Marguerite Rouffanges, âgée de 47 ans parvient à s’échapper par une petite fenêtre et a pu témoigner. Des soldats, d’une vingtaine d’années placent dans la nef une sorte de caisse volumineuse d’où dépassent des cordons. Ces cordons ayant été allumés, le feu se communique à l’engin placé dans la caisse d’où une épaisse fumée noire et suffocante se dégage. Les femmes et les enfants à demi asphyxiés, hurlent, affluent vers la partie de l’église où l’air est encore respirable,. C’est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée. Mme Rouffanges témoigne : « j’y pénétrai à mon tour et résignée, je m’assis sur une marche où ma fille vint me rejoindre. Les Allemands abattirent ceux qui venaient se réfugier dans cette pièce, ma fille fut tuée près de moi. je dus la vie à l’idée de fermer les yeux et de simuler la mort. Une fusillade éclata dans l’église. Puis de la paille, des fagots, des chaises furent jetés pêle-mêle sur les corps et les SS mirent le feu ».
(voir archive INA "Oradour sur Glane" vidéo 1er janvier 1945).
Deux exemples parmi tant et tant d’autres de la barbarie nazie qui n’empêcheront pas un certain homme politique français de qualifier l’occupation allemande de :